Préparation de la canne
Dans le cas d'une coupe manuelle, les cannes à sucre sont livrées entière à l'usine. Par contre et ce qui est de plus en plus frequent, dans le cas d'une récolte par récolteuse mécanique, les cannes sont livrées en tronçons de 20 cm.
Le transport des cannes entières se fait par charrettes parfois tirées par des bœufs pour le folklore.
Les tronçons de cannes sont eux en général transportés par camion benne ou par camion à
fond roulant dont l'action permet de décharger le contenu sans lever la charge.
Les cannes sont alors chargées via une pince grappin sous portique pour être amenées dans l'usine à la première étape de la
fabrication du rhum agricole : le lavage.
Les cannes entières issues de la coupe manuelle sont débitées en tronçons de 20 cm (opération déjà effectuée par les récolteuses mécaniques).
Les tronçons de canne à sucre sont ensuite nettoyés par rinçage.
Arrosés régulièrement les tronçons de canne effectuent plusieurs passages par des moulins successifs. Les arrosages entre deux passages permettent d'augmenter l'extraction de sucre des cannes en imbibant les fibres et dissolvant le sucre résiduel.
Le liquide ainsi obtenu est du jus de canne appelé vesou.
Les résidus de ce broyage constituent une fibre qui séchée est nommée bagasse.
Cette bagasse est utilisée pour chauffer la vapeur destinée à la distillation ou l'entrainement des broyeuses. Cette vapeur permet également de produire de l'électricté pour alimenter la distillerie. Dans le cas de certaines distilleries, cette électricité est même revendue au réseau électrique car la production éléctrique excède les besoins énergétiques.
Cette bagasse peut également trouver des débouchés dans la construction sous forme de panneaux isolants ou de matière isolante à la manière de l'ouate de cellulose.
Fermentation
La respiration cellulaire fournit l'énergie nécessaire à la vie de la cellule en oxydant des matières organiques telles que les sucres. Cette respiration consomme de l'oxygène et produit du dioxyde de carbone et de l'eau.
Dans certaines conditions la cellule génère son énergie sans oxygène. Ces réactions se nomment :
- fermentation alcoolique : celle qui nous interesse ici.
- fermentation lactique : réaction se déroule par exemple dans le muscle sous effort ou dans la transformation de lait en yaourt.
- fermentation butyrique.
La fermentation alcoolique est le fruit de l'activité d'organismes tels que les bactéries ou les levures. Cette fermentation est à l'origine de la fabrication de l'alcool présent dans le rhum agricole.
L'homme utilise des levures depuis l'antiquité pour transformer le sucre en alcool pour la production d'alcools (bières, vins, ..) mais aussi de pain.
Les levures utilisées peuvent être d'origine :
- naturelle : le vesou (jus de canne à sucre) entre en contact avec les levures présentes dans le milieu naturel. On obtient des rhums plus riches du fait de la diversités des type de levure. Le résultat est cependant plus incertain avec le risque de contamination par d'autres levures engendrant d'autres types de fermentation.
- ensemencé : afin de garantir le type de fermentation (alcoolique plutôt que lactique...) et le rendement,il est en général choisi d'ensemencer le jus de canne avec des levures cultivées dans ce but. On obtient ainsi une qualité et des rendements stables.
- cuve mère : un échantillon du vesou est ensemencé, chauffé, puis lorsque cette cuve est suffisamment fermentée, son contenu est réparti dans les autres cuves afin de les ensemencer à leur tour.
La fermentation est un processus exothermique, c'est à dire qui dégage de la chaleur. Il convient donc de surveiller la température notamment parce que la fermentation du processus de fabrication du rhum agricole se passe sous climat chaud. Il est ainsi indispensable que la température ne dépasse pas 35° sous peine de freiner l'activité des levures et de risquer la contamination par d'autres types de bactéries ou levures. Cette régulation se fait en arrosant les cuves d'eau.
De même pour éviter un trop grand dégagement de chaleur, les jus sont dilués d'autant plus que la distillerie se trouve dans le sud de l'ile où les températures sont plus importantes et les ressources en eau plus réduites.
Il en résulte des vins titrant entre 3° et 6° ce qui est bien loin du degré alcoolique maximal d'une fermentation : 16°
Ce faible degré alcoolique a des répercussions sur la distillation.
Une des principales différences dans le mode de fabrication entre les rhums agricoles et traditionnels (ou industriels) réside dans le choix des matières premières :
- Dans le cas du rhum traditionnel, la solution sucrée sousmise à fermentation est obtenue en diluant de la mélasse qui est un résidu de la fabrication du sucre.
- Dans le cas du rhum agricole, la solution sucrée est le jus de canne à sucre obtenu par boryage. Ce liquide est appelé le vesou. Ce mode de fabrication permet au rhum agricole de revendiquer un goût de terroir, propre à son lieu de fabrication.
Selon la réglementation A.O.C. la fermentation est de type discontinu, en cuve ouverte d'une capacité maximale de 500 hectolitres. Les fermentations continues et en cuves fermées sont interdites. On parle de fermentation continue lorsque les cuves sont alimentées au fur et à mesure par du jus frais pour maintenir une activité continue des levures. Dans le cas d'une fermentation discontinue, le liquide est ensemencé et la fermentation s'arrete lorsque le sucre a été épuisé ou que les levures ont atteint une concentration alcoolique qui devient nocive (autour de 15° à 20°)
L'apport d'agent fermentaire est limité à un seul type de levure: les levures du genre Saccharomyces. L'ensemencement du jus mis en fermentation ne se fait que par les procédés suivants :
- par cuve mère ;
- par coupage ;
- par pied de cuve ;
- par levures centrifugées.
La durée de fermentation, à compter de la mise en cuve jusqu'à la distillation, ne peut excéder 72 heures à une température ne dépassant pas 38,5 °C.
Les jus fermentés doivent présenter un titre alcoométrique volumique minimum de 3,5° en volume.
Un règlement technique, approuvé par le comité national des vins et eaux-de-vie de l'Institut national de l'origine et de la qualité, après avis de la commission technique, précise les conditions de conduite de la fermentation, et notamment les modalités :
- d'un complément azoté et phosphaté qui peut être apporté lors de la fermentation ;
- de l'acidification qui assure, par abaissement du pH, la protection de la fermentation levurienne contre le développement bactérien.
Distillation
La distillation est bien antérieure au rhum agricole et semble connue depuis environ le 3ème ou 4ème millénaire avant Jesus-Christ. Cette origine, soumise à caution se situerait en Mésopotamie ou au Pakistan. Il s'agissait de distillation d'huiles essentielles (eau de rose, ...) et non de distillation alcoolique. La distillation s'effectuait avec des appareils tels que celui illustré ci.
La solution aqueuse était chauffée et les petites gouttes formées par la condensation sur le couvercle ruisselaient vers la rigole en pourtour. Le contenu du récipient principal devenait ainsi de plus en plus concentré.
La recherche de la pierre philosophale conduit les alchimistes à pousser l'art de la distillation avec les premières production de "aqua vitae" ou eau de vie (censée apporter la longévité) . Dès l'an mil Abulcasis (Khalaf ibn Abbas Al-Zahrawi) chirurgien arabe de Cordoue distille du vin puis au 12ème siècle les occidentaux perfectionnent le procédé. L'alcool est produit en de très petites quantités et est à destination uniquement médicale.
Il faut attendre le 15ème siècle pour que se développe le commerce d'alccol non médical avec notamment en 1411 la vente attestée en Gascogne d'aygardent (eau ardente). Cette industrie ne se développe cependant qu'à partir du 17ème siècle avec les whisky, vodka et cognac.
La distillation a pour but de séparer les constituants d'un gaz, d'un liquide. Dans le cas du rhum agricole, il s'agit de distillation alcoolique, le but étant de séparer l'alcool de l'eau. Cette séparation s'effectue par chauffage et s'appuie sur les différences de températures d'ébullition de l'éthanol 78,4°C et de l'eau 100°C. Les vapeurs d'alcool s'échappent en premier et le refroidissement de ces vapeurs permet de récupérer un liquide beaucoup plus concentré que celui d'origine.
Le liquide à distiller ne contenant pas uniquement de l'alcool et de l'eau, le liquide obtenu contient tout ou partie de ces autres éléments. Certains sont non désirables comme le méthanol, d'autres vivement recherchés comme les composés aromatiques. Dans le cas du rhum agricole, ces aromatiques sont spécifiques à la distillerie, aux champs où ont poussé les cannes, bref du terroir. C'est cette spécificité du terroir qui rend chaque rhum agricole différent au contrario des rhums industriels aux productions plus "calibrées".
(a) la chaudière où se trouvent les liquides à distiller. Elle est chauffée directement ou par bain Marie;
(b) le chapiteau qui recouvre la chaudière;
(c) le col de cygne conduisant les vapeurs vers le condenseur ;
(d) le condenseur dans lequel les vapeurs se condensent par l'effet du refroidissement dû à la circulation d'eau froide.
Les premiers alambics modernes sont dus à Albucasis. Ces appareils permettent par un refroidissement rapide des vapeurs de récupérer les vapeurs d'alcool sous forme liquide.
Ces premiers appareils ne permettent pas de séparer les esters de l'alcool. Ces esters étant responsables de mauvais goûts, les premiers alcools sont fortement aromatisés (anis, genièvre, ...). Un perfectionnement intervient avec les alambics à repasse ou le fruit d'une première distillation est réchaufé puis réintroduit pour une seconde distillation. Ces deux distillations permettent de séparer le coeur (alcool) de la tête (esters) et de la queue (eau). L'exemple le plus connu de ce type d'alambic est l'alambic charantais :
Au cours du 19ème siècle la technique de distillation du rhum s'affine avec notamment l'introduction des alambics à double cornue. Ces alambics proviennent des antilles anglophones dont la qualité de rhum surpasse très nettement ceux des antilles francophones. Ces appareils sont adaptés et prennent le nom d'alambic Père Labat, bien que ce dernier n'ai jamais imaginé un tel alambic et se soit éteint plus d'un siècle auparavant.
A partir de la seconde moitié du 19ème siècle, la distillation devient continue avec l'apparition des colonnes à distiller.
A partir de la seconde moitié du 19ème siècle de nouveaux appareils apparaissent en Martinique. Ils sont adaptés des appareils à distiller l'alcool de betterave qui concurrence le rhum (agricole ou non) produit de la canne à sucre dans les antilles.
Ce sont des appareils à distillation continue. Cette distillation est dite continue car il n'est pas nécessaire de repasser le liquide en distillation, le liquide passe et repasse dans la colonne autant qu'il est nécessaire pour en extraire l'alcool.
Ces appareils ont un bien meilleur rendement énergétique, permettent de traiter de grandes capacités en un temps très court, ce qui est primordial sous des climats, où la matière première, le vésou, peut rapidement tourner. Par contre le produit des premières colonnes est de qualité médiocre, il est très difficile de séparer les non alcools volatils au mauvais goût des composants aromatiques qui font la renommée du rhum agricole. De plus la courte exposition du vésou à la chaleur ne permettait pas la formation de certains esters lourds, à l'origine du bouquet du rhum agricole.
Les colonnes ont donc été adaptées aux spécificités du rhum agricole en élargissant les plateaux pour augmenter le temps d'exposition à la chaleur du vésou, en réduisant le nombre de plateaux de concentration pour laisser passer ces fameux esters lourds.
La colonne à distiller créole, indissociable du rhum agricole, était née.
Les colonnes à distiller en continues sont constituées de plateaux. Chaque plateau constitue un "étage" de la colonne où le liquide descendant rencontre les vapeurs qui montent. Au contact du liquide, les vapeurs s'enrichissent en alcool et principes aromatiques.
La colonne est divisée en deux zones :
- Les plateaux d'épuisement, situés en bas.
- Les plateaux de concentration. Cette zone se situe au dessus de la zone d'épuisement
A: injection de vapeur
B: Sortie des vinasses
C: injection du vésou fermenté
D: injection du reflux
E: sortie du distillat
F: chauffe vin qui condense le distillat[E] en réchauffant le vésou[C] et le reflux[D].
La zone d'épuisement se situe entre B à C, la zone de concentration entre C et E.
La zone d'épuisement reçoit en sa partie basse la vapeur d'eau issue de la chaudière et en partie haute le vésou à distiller. Cette vapeur monte à travers les plateaux et barbotte dans le vésou qui descend. En barbottant, il épuise en alcool et principes aromatiques le vésou. En partie basse, le liquide épuisé sort de la colonne. Ce liquide résiduel est appelé vinasse et contient typiquement 2 à 3° d'alcool.
La zone de concentration est traversée par la vapeur qui est issue de la zone d'épuisement, enrichie en alcool et principes aromatiques. Cette vapeur s'echappe en partie haute pour être refroidie.
Une fraction du liquide refroidi est réinjecté dans la zone de concentration. Ce reflux est constitué des composés les plus lourds issus du refroidissement donc des composés aromatiques. Cette réinjection de composés lourds permet d'éliminer certains mauvais goûts du liquide obtenu : le rhum.
Certaines installations réduisent cette réinjection. Elles nécessitent donc une plus grande maîtrise de la fermentation afin de ne pas générer que des composés lourds aromatiques. Il est à noter que ce sont ces mêmes composés lourds qui étaient responsables du goût inférieur des rhums français par rapport aux rhums anglais au XVIIème siècle.
Les contraintes introduites par le réglement "rhum agricole AOC Martinique" sur ces colonnes sont les suivantes :
- le chauffage uniquement par injection de vapeur
- les diamètres dans la partie épuisement compris entre 0,7 et 2 mètres
- concentration réalisée par 5 à 9 plateaux en cuivre
- épuisement réalisé par au moins 15 plateaux en inox ou en cuivre
- rétrogradation réalisée par un ou plusieurs chauffe-vins ou condenseurs à eau en cuivre
La rectification (deuxième distillation visant à pousser la concentration en alcool) est interdite.
En outre, le titre alcoolique doit être compris entre 65° et 75° en sortie de la colonne à distiller pour respecter les exigences du cahier des charges de l'AOC rhum agricole Martinique.
Ces règles ont été édictées afin de permettre de prendre en compte l'intégralité des colonnes distillant du rhum agricole en Martinique et ne constituent donc pas un facteur discriminant sur les colonnes existantes. Elles permettent par contre de garantir une continuité dans la typicité et la qualité du rhum produit dans des colonnes à venir.
Embouteillage
A la sortie de la distillation le rhum titre environ 70°. Il est donc impropre à la consommation (tout au moins pour le commun des mortels) et même dilué ses bouquets ne s'expriment pas encore. Il est donc mis en cuve (inox ou bois) pendant quelques mois (au moins trois mois selon le réglement AOC).
On dit que le rhum s'arrondit, son bouquet se développe.
Les étapes de distillation sont nécessairement conduites par une distillerie fumante. Les étapes de maturation en cuve ou en fûts peuvent être réalisées par des éleveurs qui impriment au rhum leur marque de fabrique par leurs techniques de maturation.
Selon le réglement AOC, le rhum blanc doit avoir été stocké au moins trois mois et au maximum trois mois si le stockage se fait en fût de bois. Il ne doit également présenter aucune coloration. Pour la commercialisation il est ramené aux degrés de commercialisation qui varient de 40 à 62° (les plus courants étant 55°, 50° et 40°) avec de l’eau de source.
Il est alors prêt pour une commercialisation en tant que rhum agricole "blanc".
Le rhum peut également séjourner un peu plus longtemps en fûts de chêne et au bout de quelques mois supplémentaires (pour une durée totale d'au moins un an selon le réglement AOC) on obtient le rhum "paille". Ce rhum est aussi parfois appelé rhum "ambré" bien que chez certains producteurs la dénomination "ambré" désigne un rhum ayant vielli 18 ou 24 mois (24 mois pour le rhum Depaz par exemple).
Le séjour peut aussi durer plus de trois ans pour obtenir l'appellation rhum agricole "vieux" selon l'AOC. Dans ce cas les fûts de chêne sont d'une capacité inférieure à 650 litres.
Pour les rhums "paille", "ambré" et "vieux" l'embouteillage a en général lieu sur place ou à proximité. Ainsi l'ancienne distillerie Dillon située dans les faubourgs de Fort-de-France ne distille plus depuis la fin de la campagne rhumière 2006. Elle n'assure désormais plus que l'embouteillage des rhums Dillon, Depaz & Saint James, tandis que le rhum Dillon proprement dit est élaboré au sein des distilleries Depaz et Saint-James.
Le rhum blanc non destiné au marché local est souvent expédié en grandes quantité et mis en bouteille en métropole afin d'économiser les frais de transport. Ainsi certaines bouteilles de rhum blanc "Saint James" portent le code emballeur "94018 A" ce qui situe l'embouteillage à Charenton-le-Pont, probablement dans les locaux de l'ancienne distillerie Cusenier.